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Ava Ava
EVA (2018)
Coton biologique, laine merinos, teinture à l'encre de chine

Publié par C. le mercredi 13 mai 2020.

 

"Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait fait. Il dit à la femme :
« Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? »
La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” »
Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »"
(La Bible, Livre de la Genèse Chapitre 3, La tentation et la chute)


Afin de vivre le même processus de création qu’Ava et surtout bien interpréter ses pièces, il est conseillé de diffuser dans ses tympans la douce mélodie Secret Garden de Madonna.
C’est alors une confrontation inter-temporelle qui se met en place entre le VIIe siècle avant Jésus-Christ et le début des années 1990.

Ava imagine avec délicatesse, construction et précision la pop star et icône gay dans un jardin d’Eden brut, contemporain et romantique.
Avec une silhouette filiforme, structurée et même saturée, Ava ré-interprète le texte originel où la transgression des règles imposées, premier pas vers la rébellion, procure la jouissance de l’interdit bravé.

Le péché originel renvoie à la notion de désir qui est recomposée à travers ses vêtements : sur la robe, les découpes latérales réveillent une irrépressible envie d’approcher la peau qui, tel le fruit défendu, attend d’être croquée.
La robe englobe le corps, à l’instar du serpent, pièce indispensable au bon fonctionnement de la silhouette. D’une part cette excroissance longiligne permet de donner vie au volume strict et sévère de la pièce, et d’autre part de proposer une intime réciprocité.

Au delà des volumes très maîtrisés, Ava s’est intéressée au mouvement Neo-concrete apparut en 1959 grâce au manifeste de Ferreira Gullar soutenant une pratique artistique plus phénoménologique que scientifique. Cela est retranscrit par le choix des incrustations de tissus bruts et saillants autant sur la robe que sur le serpent. Les imprimés parsemés sur la robe perturbent sa lecture « saine » et s’invitent en blocs, ordonnant à nos yeux de les décortiquer. Notre iris est presque possédée par cette vision déformée -psychédélique et paranoïaque- qui bâtit une nouvelle lecture à l’instar du Neo-concrete.

Ce que je lis également au travers des pièces de couture présentées, ce sont les longues et minutieuses heures de réalisation artisanale, parfois fastidieuses et souvent ancestrales qui viennent percuter la vivacité d’action et de mouvement du serpent.
Si Ava a choisi le travail artisanal de la teinture à l’encre de chine et le tissage manuel, nécessitant plus de 40 heures, c’est également pour nous questionner sur la valeur d’une telle manufacture, en comparaison à celle issue d’une production de masse où chaque geste est optimisé pour produire plus et plus vite.

Les fibres naturelles qui semblent avoir été dévorées par le serpent dévoilent une nouvelle relation inéluctable entre le boa, le vêtement et l'humain. Si la robe nous montre ces ouvertures jusqu’à mi-cuisses c’est sûrement pour nous rappeler de l’existence de cette force animale. Une manière de retranscrire l’engloutissement métaphorique du mal et de la rébellion. J’en suis arrivée à me demander si le serpent allait parvenir à ses fins en se nourrissant de l’humain.

En somme, on peut supposer que franchir l'interdit conduit vers une punition biblique métaphorique, qui, grâce à l’art, ne cesse d'être transgressée.